J.P.E.V. 40 Un illuminati peut en cacher un autre

Tiens ! j'ai croisé un illuminati tout à l'heure... j'ai failli ne pas le reconnaître. Il avait des écailles comme un reptile... mais qui n'en a pas de nos jours ? C'est même assez courant. Je sais de quoi je parle ! Des ongles assez longs... À la réflexion, dans son cas, on pouvait même parler de griffes... mais si je me compare, je constate, non sans une certaine fierté, que les miennes n'ont rien à envier aux siennes ! Et j'estime ne pas avoir besoin d'une manucure pour améliorer mon potentiel de séduction. Je préfère garder ce côté animal qui ne déplaît pas forcément à tout le monde, si vous voyez ce que je veux dire ! Ah... sa queue... c'est peut être là le point le plus délicat, celui qui mérite réflexion. Pourquoi exhiber ainsi sa queue ? Je serais vraiment curieux de connaître vos réponses mais je préfère remettre à plus tard afin de conserver la belle cohérence de mon propos... Entre nous, je vois mal comment dissimuler un tel attribut ! N'y voyez aucune forfanterie mais force est de constater que nous ne sommes pas les moins bien dotés par Mère nature ! Dans notre espèce, la queue fait deux fois et demie notre taille d'adulte. Mais c'est une caractéristique que nous ne cherchons pas à mettre en avant. N'importe quel vétérinaire vous le dira : la queue est indispensable à l'équilibre de tout spécimen normalement constitué... et elle est recouverte d'écailles. 

Mais alors, sans doute vous demandez vous comment, compte tenu de toutes ces similitudes, j'ai pu savoir qu'il s'agissait d'un illuminati ? C'est bien simple, il m'a dit "Bonjour !"... oui, vous avez bien lu : il m'a salué... en pleine ville... dans l'anonymat d'un quartier... alors que plein de gens se croisaient, indifférents les uns aux autres, se remarquant à peine sinon pour s'éviter... il m'a dit "Bonjour !"

Vous auriez été aussi surpris que moi... et là, j'ai compris... Qui d'autre qu'un illuminati, peu familier des mœurs citadines, pourrait ainsi faire l'erreur de saluer un parfait inconnu... à moins qu'étant en mission et cherchant désespérément à établir un contact, il ne se soit jeté sur le premier venu... C'est ça qui m'a alerté. 

D'un autre côté, je me sentais flatté. Pourquoi moi plutôt qu'un autre ? Il est vrai que nous étions les deux seuls pangolins dans cette rue... enfin surtout moi puisque lui, c'est un illuminati... bien que, vu de l'extérieur, c'est moins évident... un observateur aurait très bien pu considérer que J'ÉTAIS l'illuminati et LUI le pangolin... Ça m'a quand même un peu embêté. J'ai donc essayé d'en savoir plus. J'ai entamé, l'air de rien, la conversation. Et bien, si je me compare, je dois bien avouer que je n'ai pas à rougir de n'être qu'un pangolin et de ne pas faire partie des initiés ! Car c'est quelqu'un de très banal. Il m'a parlé de sa petite vie tranquille et je n'ai pu déceler, à travers ce panorama ordinaire, aucun des traits qu'on s'attend à trouver chez un conspirateur. Peut-être était-ce sa couverture (je regarde Le Bureau des légendes...) Mais il ne m'a posé aucune question, n'a pas cherché à savoir où je travaillais, ni à connaître mon statut social ou mon cercle d'amis, ni à estimer mon potentiel ou mon utilité... il n'a rien fait de ce qu'on attend d'un illuminati. 

J'étais déçu. Je le lui ai dit. Il m'a regardé puis s'est mis à rire. Il était vraiment plié... plutôt roulé en boule comme le sont habituellement les pangolins dans ce cas... Comme la rue était en pente, j'ai même dû le retenir. Quand il eut repris son souffle, il pointa une griffe vers moi et dit : "Je croyais que c'était vous, l'illuminati !"

Ça m'a un peu soulagé. Car s'il est aussi facile de paraître être ce qu'on n'est pas alors ne vaut-il pas mieux continuer à simplement être ce qu'on est ?

Nous nous sommes quittés sans regrets chacun repartant dans sa direction. Après quelques pas, il s'est retourné et m'a lancé, en l'accompagnant d'un geste de la patte : "Salut l'illuminati !" J'ai répondu de la même façon... mais j'ai senti que cette pirouette trahissait malheureusement le fait que nous n'étions pas complètement convaincus d'être ce que nous étions...