Journal d'un pangolin en vacances 24

J'ai acheté un chat. J'aime bien me frotter aux autres espèces. Ma voisine l'a remarqué et m'a fait une scène.

"Il a l'air méchant. Je suppose qu’il tue beaucoup d’oiseaux ? 

— Six ou sept par jour. 

— À voir sa tête, c'est bien ce que je pensais ! La municipalité devrait interdire ces animaux vicieux et destructeurs. Ils constituent une menace pour la biodiversité… 

— Il chasse aussi les serpents et les rats, cela devrait quand même vous plaire ! Et il est très partageur : ce matin, il m'a ramené un lapin."

Je n'ai pas réussi à la convaincre. Elle s'est installée à la campagne mais elle n'aime pas la campagne. Elle a lancé une pétition contre les cloches de l'église et contre les agriculteurs qui passent trop près de son jardin, à son goût. Elle me fait penser à Marie-Antoinette et sa ferme d'opérette à Versailles. Ça risque de mal finir.

Comme j'essaie de m'intégrer, ce qui n'est pas toujours facile pour un pangolin, je ne lui ai pas avoué que, moi aussi, je chassais. Oh, à bien plus petite échelle. En règle générale, les pangolins se nourrissent essentiellement de fourmis et de termites. Nous avons une langue visqueuse sur laquelle les insectes restent collés. Nous fouillons les termitières et, j'ai honte de l'avouer… les excréments d'éléphant. Bien sûr, en France, j'ai dû m'adapter et je dois avouer que les bouses de vache ont été, pour moi, une grande découverte. J'ai même appris à distinguer la bouse ordinaire de la bouse AOP avec l'aide d'un critique gastronomique de ma communauté, acclimaté depuis longtemps dans votre beau pays.

Ce que je n'ai pas dit non plus à ma voisine, c'est que je me suis en plus inscrit à l'option "chasse" d'un lycée agricole de la région afin de diversifier mes pratiques traditionnelles et donc mes sources d'approvisionnement. J'ai envie de m'essayer au gros gibier.

Je sens bien que je vais avoir du mal à faire accepter cette évolution. J'ai commencé à rédiger une "Lettre adressée à mes amis humains qui ne voient pas où est le problème". J'essaie d'y développer l'idée que le "privilège humain" c'est de pouvoir choisir entre chasser ou ne pas chasser. Nous, pangolins, n'avons pas ce privilège. La chasse est inscrite dans nos gènes et le régime herbivore n'est pas compatible avec notre microbiote.