Reviens au bureau !

J'ai un problème… je n'ai pas osé dire à mon patron que j'étais parti… non pas de l'entreprise mais de chez moi. J'ai vendu mon appartement à Paris pour m'acheter une petite maison dans le Gard avec un jardin… J'avais anticipé pour les visioconférences. Vers la fin, un peu avant mon départ, je me filmais devant un fond blanc comme les photographes de mode… je prétextais que j'étais en train de refaire la peinture… en fait, c'est dans ma future maison que j'avais commencé à faire des travaux en prévoyant un lieu avec un espace blanc derrière… j'aurais pu mettre un fond bleu puis faire des incrustations en direct comme pour les bulletins météo à la TV mais c'est plus compliqué et on n'est pas à l'abri d'un incident technique. La caméra qui filme le fond à incruster peut se dérégler ou le chat peut la renverser et voilà votre bibliothèque en arrière-plan qui bascule sans qu'aucun livre tombe par terre… Le seul problème, c'était l'ambiance sonore… Comme, dans les derniers moments de vérité que nous avons partagés, il faisait très chaud à Paris, j'avais laissé les fenêtres ouvertes et on entendait surtout le bruit de la circulation… Après mon installation dans le Gard, lors d'un de nos échanges, soudain il me dit : "C'est curieux… je ne m'étais jamais aperçu qu'on entendait aussi bien les oiseaux dans votre quartier !"... Panique !... "Euh… ah oui... ils font des travaux dans ma rue, en ce moment... ils ont coupé la circulation… vous savez comment c'est avec la mairie de Paris !"... je croyais avoir franchi l'obstacle  "Ne m'en parlez pas !... mais question bruit, ils ont l'air de faire particulièrement attention… on n'entend même pas les marteaux-piqueurs !"... puisqu'on était dans l'imaginaire, un peu plus, un peu moins ne ferait pas une grande différence… "Ce sont des marteaux pneumatiques, ça amorti beaucoup mieux… comme les suspensions pour les voitures…"... j'ai senti un léger doute dans son esprit car tout le monde a en tête, associée au marteau-piqueur, l'image d'un compresseur qui monte en régime à chaque fois qu'on le sollicite pour envoyer de l'air comprimé… mais bon, nous travaillons dans l'édition et notre domaine n'est pas le livre technique… N'empêche, il a fallu que je retourne à Paris, enregistrer des bruits de circulation, porte de Vanves.

Ce qui m'inquiète le plus tout de même, c'est quand il m'invitera à revenir au bureau et que je devrai lui annoncer que mon boulot me plaît vraiment mais que je veux rester dans ma petite maison au fond du jardin, avec les oiseaux qui chantent, le bleu du ciel au-dessus du toit, les cyprès, le romarin, les cigales, loin des encombrements parisiens et de la pollution… je redoute cet instant !... Et… et si je l'invitais d'abord !... oui mais, c'est risqué… il serait capable de rester pour profiter des mêmes avantages que moi… et à mes frais, en plus !