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Y'en a vraiment qui débloguent...

Journal de bord d'un navigateur du web. Commentaires sur l'actualité, la société, la politique, les femmes, le sexe, l'âge, la vie...

Le mystère des pyramides de Ponzi

J'ai bien connu Madoff, on était à l'école ensemble. Il avait réussi à bénéficier du programme Erasmus alors qu'il était américain, qu'il n'avait que cinq ans et qu'il ne parlait pas français. 

Le français ne lui a pas posé de problème particulier. C'est une langue assez simple que tout locuteur anglophone a tôt fait d'avaler. Les colonies qui existent encore dans le monde, je pense particulièrement au Canada, ne sont là que pour conforter les anglo-saxons dans leur sentiment de supériorité, bien compréhensible au vu de la rusticité affligeante de notre idiome (surtout dans sa version canadienne). Personnellement, je ne me suis jamais senti humilié par les plaisanteries de Madoff à mes dépens même quand il me traitait d'imbécile. Comme le conseillent les coachs en développement personnel, il faut toujours être lucide sur ses capacités si l'on veut éviter de prendre des gamelles en regardant le ciel. Madoff m'a très vite remis à ma place avec ses airs de pharaon, son cigare et son téléphone satellitaire qu'il avait toujours dans une poche de sa culotte courte en prince-de-galles (savez-vous que ce tissu n'était porté par les Anglais que pour les loisirs et le sport et que ce sont les Américains qui l'intégrèrent à la panoplie de l'homme d'affaires).

Je savais aussi qu'en faisant profil bas je gagnerais sa confiance et qu'il m'apprendrait tous les tours dont il avait le secret et qui lui permettaient d'avoir un train de vie qu'il est assez rare d'atteindre dès l'âge de cinq ans (à ma connaissance, seul Jacques Séguéla fut en mesure de le concurrencer sur ce plan-là… mais Séguéla était trop à gauche pour m'inspirer confiance… je n'aime pas ces gens qui n'assument pas leur goût pour l'argent et cherchent à se faire passer pour des ermites).

J'ai entendu un invité de Fabrice Drouelle, dans son émission Affaires sensibles, dire que Madoff était plus un ingénieur social qu'un financier, qu'en fait ce qu'on aurait dû lui reprocher, c'était simplement un délit de bonne gueule. Bernard, Bernie pour les intimes, étaient foncièrement honnête mais, pour son malheur, il inspirait trop confiance. Il fut donc contraint de faire le bonheur de tous ceux qui recherchaient sa compagnie et qui, sachant qu'il œuvrait dans la finance, le poussèrent à leur promettre des rendements anormalement élevés. C'est le drame des bonnes natures que de ne pas savoir refuser. J'ajoute, même si cela peut paraître invraisemblable à première vue, que son jeune âge ne dissuadait pas les adultes de quémander ses avis, y compris le gouverneur de la Banque de France ou le ministre de l'économie d'alors qui, une fois l'escroquerie révélée par les médias, eu l'extrême noblesse de se suicider.

Je n'ai peut-être pas été assez clair sur ce qui faisait la particularité de notre camarade. Certes, il nous surpassait mais nous n'étions pas des branques non plus. Vous connaissez l'École alsacienne... bien que je ne puisse pas révéler le nom de notre établissement puisque l'enquête qui a démarré il y a cinquante ans est toujours en cours, je pense vous donner une bonne idée de son niveau d'excellence, en la rebaptisant École suisse. À l'époque, dans la cour de l’école, les conversations tournaient principalement autour de la spéculation financière, du climat des affaires, du CAC 40, de la fiscalité confiscatoire sur les revenus du capital… ce genre de sujets qui sont le quotidien des enfants qui se soucient de leur avenir. Malgré sa superbe ou peut-être à cause d'elle, Madoff éveilla nos soupçons. D'abord le fait qu'il cherchait toujours à faire cavalier seul. Nous avions pris depuis longtemps l’habitude de travailler en équipe, avec des réunions hebdomadaires où nous faisions le point sur l’avancement des projets afin d’identifier les blocages et d'adopter les solutions qui s'imposent. Comme disait une élève qui, plus tard, deviendrait présidente de Région : "On n’est plus à Wall Street à l'époque des jeunes loups aux dents longues où l’instinct, la coke et les egos menaient la danse." Notre force, pour investir sur les marchés, résidait dans cette volonté d'échanger entre nous les infos, les graphiques financiers, les dépêches de l’AFP et les articles des Échos ou du Financial Times qui nous paraissaient intéressants. Je ne prétends pas que tout était rose et parfois il arrivait que nous ayons du mal à anticiper le marché. Alors l'un d'entre nous, d'un air sombre, pouvait maudire la fortune : "Quel après-midi pourri ! À ce train-là, je vais devoir vendre un de mes apparts à Cannes pour renflouer mon PEA !".

Il y eut aussi des abus malgré notre prétention à nous démarquer des bad boys de la finance. Une fois, pour fêter les bonus de fin d'année, nous fîmes venir des call-girls. Le champagne coula à flot et les filles ne furent pas les dernières à monter sur les tables. C'est aussi ce jour-là que je surpris celle qui ne serait plus jamais l'amour de ma vie, en train de rouler une pelle à l'une des professionnelles qui organisaient la débauche… Avec le recul, je m'aperçois que ces écarts ne choqueront que ceux qui n'ont pas connu la Guerre des boutons.

Ce qui nous intriguait, ce sont ces rendements pharamineux que Madoff affichait. Nous avions un préjugé favorable à son égard mais une telle constance dans les résultats avait quand même de quoi surprendre. Il nous a souvent proposé de rentrer dans son capital mais rares sont ceux qui ont cédé à ses avances 

Nous étions malgré tout aussi des enfants et pour nous délasser des affaires, il nous arrivait parfois de jouer aux Lego. Ce qui m'interpella, c'est que Madoff ne bâtissait que des pyramides avec un plaisir disproportionné par rapport à la simplicité de ce type de construction. Ce qui n'était qu'un étonnement passager devint une interrogation permanente quand je découvris au cours de mes lectures l'existence du système de Ponzi. Comme ce Grec, dont j'ai oublié le nom, et qui poussa un cri dans son bain… "Ikea", si ma mémoire est bonne, j'eus la soudaine révélation du lien possible entre les Lego et Ponzi. Je m'en ouvris derechef à Madoff.

"Bernard, rassure-moi, tu n'es pas en train de nous faire une pyramide de Ponzi ?!" J'avais encore la foi de l'enfance dans les vertus de l'amitié et je n'avais pas compris que certains intérêts supérieurs peuvent en limiter la portée. "Fuck off !" fut sa seule réponse. 

Il ne me restait plus, en désespoir de cause, qu'à prévenir l'Autorité des marchés financiers. Malheureusement,  son président avait aussi cédé aux sirènes des rendements indus et quand il comprit aussi qu'il perdrait tout crédit aux yeux des épargnants après cette révélation, il me demanda de garder le silence tout en me promettant d'exfiltrer Madoff vers son pays d'origine. Je fus en outre dédommagé de mon silence comme on peut s'y attendre en pareille occasion.

Hélas, j'ai pu éprouver par la suite le bien fondé du proverbe "bien mal acquis ne profite jamais", car j'eus la malheureuse idée de confier cet argent à Jérôme Kerviel qui m'avait tapé dans l'œil pour des raisons qui m'échappent, fatale attirance contre laquelle la fréquentation de Madoff aurait dû pourtant me vacciner.

Quoi qu'on en dise, les pyramides de Ponzi sont loin d'avoir révélé tous leurs secrets.

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