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Y'en a vraiment qui débloguent...

Journal de bord d'un navigateur du web. Commentaires sur l'actualité, la société, la politique, les femmes, le sexe, l'âge, la vie...

COCO EN STOCK

Ma conscience écologique s'affermit de jour en jour mais je vais malheureusement être obligé d’arrêter le poisson… J’ai déjà dû abandonner le bœuf car je ne maîtrise pas sa cuisson. Quand il a fallu que je me sépare de ma cuisinière… la femme, pas l'ustensile… j'ai découvert qu'on ne rattrape jamais le temps perdu surtout quand on a aucune intention de courir après… ce qui, soit dit en passant, me rapproche un tout petit peu de Marcel… Proust, vous l'avez deviné. J'ai encore beaucoup de chemin à parcourir pour oser prétendre à une filiation aussi mythique car je ne suis toujours pas asthmatique, ni un tant soit peu homosexuel ce qui m'a fermé beaucoup de portes (la discrimination prousitive n'est pas une fiction). Ma cuisinière me permettait de maintenir le peu d'estime que j'osais encore me porter en privé en me drapant dans ma serviette pour protéger mon smoking.

Je dois donc faire une croix sur le poisson, y compris le vendredi, car j'ai été contrôlé positif à la cocaïne il n'y a pas deux semaines alors que je me rendais chez ma maîtresse au volant de mon Alpine A110. Vous vous dites qu'un vieux qui a déjà subi de multiples révisions et qui a plusieurs milliers de kilomètres au compteur, a parfois besoin de s'injecter un additif (du NOS par exemple) pour booster ses performances quand son honneur est en jeu. Désolé de déjouer ce pronostic : je ne prends rien, même pas cette petite pilule bleue qui, paraît-il, vous schtroumpf la schtroumpf comme un ballon sur un stand de fête foraine.

Comment ce psychotrope s'est-il retrouvé dans mon corps ? Après une longue enquête menée par la Concurrence et la Consommation, les Douanes et l'ARS, il s'avère que mon intoxication est due à un surdosage de poisson et notamment les sardines de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Rassurez-vous, les conserveries ne cherchent pas à rendre leurs clients accros par d'autres moyens que ceux admis par le code de la concurrence, leur réputation gastronomique n'étant plus à faire. L'explication est simple et tout à la gloire des services de l'État. Les Douanes se montrant de plus en plus performantes, les trafiquants doivent de plus en plus souvent se résoudre à balancer par-dessus bord les ballots enfermant la drogue afin de ne pas être pris avec les preuves de leur délit. Une fois à l'eau, ceux-ci se délitent et la cocaïne se dissout pour répandre ses prodiges dans les gouffres amers où les poissons avaient jusque-là peu d'occasion de se réjouir ou de se plonger avec délice dans le kaléidoscope de leurs pensées.

Ce phénomène fut d'abord observé au large de la Floride, dans la mer des Caraïbes, chez les requins. Une équipe de recherche a mené plusieurs expériences dans les Keys, cet archipel situé au sud de la Floride, sans utiliser de drogue pour des raisons éthiques évidemment. Lorsqu'ils ont jeté des paquets ressemblant à ceux contenant habituellement la drogue, les prédateurs se sont jetés dessus. L'un d'eux a même attrapé un paquet entier et est parti avec. Les scientifiques ont repéré d'autres comportements pour le moins troublants : un requin gris nageait en cercle et semblait se concentrer sur un objet imaginaire comme s'il attendait en manque, son dealer.

Soudain je pense à Tintin, Le Crabe aux pinces d'or plus précisément. Il n'y avait pas encore de conteneurs mais des marins ripoux, ça oui. C'est aussi dans cet album que Tintin rencontre le capitaine Haddock pour la première fois, un pochtron comme on n'en fait plus, un alcoolique systémique qui ne désespère pas de parvenir à noyer tout l'alcool du monde dans son chagrin. Milou n'est pas en reste et s'essaie à tous les breuvages, encouragé par l'exemple de ce nouveau compagnon. Tintin, lui, bien sûr ne boit pas et maintient le cap de la narration contre vents et marées.

Dans les boîtes de crabe, il y avait de l'opium. Aujourd'hui, la drogue se cache dans les conteneurs. Soixante-quinze pour cent de la cocaïne consommée en France arrive par voie maritime de l'Amérique latine, des Antilles ou de l'Afrique. La drogue est dissimulée dans les marchandises ou les parois des conteneurs. D'où le rôle crucial des manutentionnaires. Certains porte-conteneurs peuvent accueillir plus de 20 000 boîtes. Lorsqu'un de ces monstres arrive, il est indispensable de savoir où sera posé le bon conteneur et s'il ne se trouvera pas au sommet d'une pile trop haute. Les agents des ports sont donc des complices idéals pour le grand banditisme. “Il ne s'agit pas seulement des dockers, explique l'ex-directeur général d'un grand port français. L'informatique a pris une telle place dans la gestion des conteneurs qu'il devient intéressant d'acheter un opérateur derrière un écran. Tôt ou tard, néanmoins, il faut bouger les boîtes. Et là, on retrouve les dockers. Porosité historique vis-à-vis des truands, loi du silence, méfiance envers la police… Bon courage aux enquêteurs.” Mais aujourd'hui, les dockers ont peur. Le 12 juin 2020, le corps de l'un d'entre eux a été retrouvé, torturé, sur un parking de Montivilliers, près du Havre. Allan Affagard, 39 ans, avait été enlevé la veille par trois individus cagoulés, devant sa compagne. Les auteurs présumés des faits ont été jugés du 11 au 14 septembre 2023 à Lille, en correctionnelle. La manifestation à la mémoire d'Allan Affagard a réuni 4 000 personnes au Havre, le 7 septembre. Pas un seul docker n'a parlé à la presse. Contactés par les journalistes, les délégués CGT des ports du Havre, de Saint-Nazaire Montoir et de Marseille n'accusent même pas réception des messages. Les directions de ces établissements publics répondent, mais elles se contentent de déplorer la gravité du problème, qui retient toute leur attention, etc. 

Des enquêtes sont en cours, et la capacité de nuisance de la CGT des ports et docks reste intacte. Partout, des affaires éclatent. Fils et père de docker, syndiqué, caïd des quais à Saint-Nazaire Montoir, Thierry Lorcy, 56 ans, est tombé en octobre 2021 avec sept acolytes, pour complicité de trafic. Les quantités de cocaïne se mesuraient en centaines de kilos. Quand les douaniers sont intervenus, Thierry Lorcy était prêt à cogner, barre de fer à la main. À Dunkerque, un commando a mené une opération éclair, visant le cargo Trudy. Les douanes venaient de saisir une tonne de cocaïne à bord. Apparemment, il en restait ! Les trafiquants sont venus récupérer le reliquat, sans tirer un coup de feu. Ils avaient forcément des complices dans la place.

En même temps que la cocaïne, les Sud-Américains importent leurs méthodes. Côté bâton, la mort d'Affagard est un message. Personne ne sait pourquoi il a été assassiné, mais il y a sans doute un lien avec la saisie record de 1,4 tonne de cocaïne réalisée un mois plus tôt au Havre. Le docker (déjà entendu dans une affaire de trafic en 2017) aurait été suspecté par les trafiquants d'être une balance. Ils venaient de perdre plus de 100 millions d'euros. À l'été 2020, les enquêteurs ont fait une saisie glaçante à la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas : un conteneur importé d'Amérique latine qui ne contenait pas de drogue, mais un fauteuil de dentiste, fixé au sol et muni d'entraves. Une chambre de torture mobile, parfaitement insonorisée. Quand ils ont saisi le téléphone portable de Ridouan Taghi, figure de la Morocco Maffia (la mafia marocaine, partenaire des cartels sud-américains en Europe du Nord), les policiers ont trouvé des photos d'une ancienne collaboratrice tombée en disgrâce, nue, ligotée à une chaise, doigts et orteils sectionnés. En juillet 2021, Peter R. de Vries, journaliste vedette de la télévision néerlandaise, a été abattu à Amsterdam. Il enquêtait sur la Maffia du Grand Sud. L'an dernier, celle-ci a tenté d'enlever le ministre de la Justice belge, Vincent Van Quickenborne. Côté carotte, les multinationales de la drogue ont des moyens financiers illimités. Les polices belge et néerlandaise ont réussi à reconstituer la grille approximative des tarifs de corruption en vigueur dans les ports du nord de l'Europe : un docker peut toucher jusqu'à 1 000 euros par kilogramme de cocaïne déchargé. Le déplacement d'un conteneur à un endroit jugé opportun peut rapporter des dizaines de milliers d'euros en cinq minutes. Plus on remonte dans la chaîne de commandement et de contrôle, plus les tarifs grimpent. Un membre de la police fédérale des chemins de fer a été arrêté en 2022 en Belgique. Il proposait un million de dollars à des douaniers pour qu'ils laissent passer des marchandises. Outre les dockers, les trafiquants sont prêts à acheter des fonctionnaires pour que des scellés disparaissent au greffe, pour qu'une demande d'extradition ne soit pas faite dans les temps, pour consulter un fichier, pour savoir si telle ou telle personne peut passer les contrôles à l'aéroport. La greffière en chef du tribunal de Saint-Nazaire a été incarcérée au printemps 2023. Sentimentale et toxicomane, elle a communiqué des informations à un dealer, moitié par amour, moitié pour obtenir ses doses.

Vous comprenez désormais pourquoi les dockers CGT veulent en faire de moins en moins. Ils n'ont plus besoin de travailler, il leur suffit d'occuper le terrain, ils sont rémunérés par les trafiquants pour trafiquer le trafic. Du coup, la CGT, donc le PCF, est devenue le premier importateur de chnouf de l'hexagone, en partenariat avec la Morocco Connection. Marx l'avait prédit, la CGT l'a fait : mettre l'opium à la portée du peuple.

 

Écrit en décembre de l'an 2023 

depuis le fin fond d'un EHPAD 

complètement à l'Ouest

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