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Y'en a vraiment qui débloguent...

Journal de bord d'un navigateur du web. Commentaires sur l'actualité, la société, la politique, les femmes, le sexe, l'âge, la vie...

Ruffin : mode d'emploi

Autrefois, on aurait dit que c'était une fille facile qui avait couché pour réussir. Aujourd'hui, on comprend qu'elle a couché mais on ne sait pas si elle a réussi, du moins à ses propres yeux. Elle nous laisse sur sa fin… D’abord, le mot “réussite” est aussi galvaudé à ses oreilles que les mots “capitaliste”, “économie de marché”, “travail”... le mal est dans les mots. Et aussi parce qu'elle précise qu'elle ne sait pas trop ce qu'elle veut même si elle a décoré sa chambre avec un organigramme de ses rêves et de ses envies dont les flèches s'emmêlent vicieusement comme des spaghettis. 

Son titre de gloire : avoir été une ex de François Ruffin. Ce qui lui a permis d'écrire des mémoires anthumes avec la certitude d'être publiée et l'espoir d'être lue (L'amour et la révolution…).

Sa vie était alors comme un spaghetti : molle, glissante, sans queue ni tête. François Ruffin lui a donné un sens (sans qu'on sache par quel bout elle a commencé). 

Elle a un pedigree sensible, du genre de ceux qui déclenchent des enquêtes de voisinage mais ouvrent la porte des squats. Son père, un Colombien, a connu Carlos, le terroriste free lance qui défraya… effraya plutôt, la chronique entre 1973 et 1983. Ils ont étudié ensemble à l’université Patrice-Lumumba de Moscou qui formait les présumées élites du Tiers-Monde avec le concours du KGB. Le prénom de Carlos était Ilich et, pour qu'il n'y ait pas de jaloux, ses deux frères ont été baptisés (façon de parler) Lenín et Vladimir. On lui doit notamment les attentats du Drugstore Publicis, d'Orly, de la rue Marbeuf, de la gare Saint-Charles. Je ne dirais pas qu'une existence peut être marquée au fer rouge à ses débuts mais les parents qui ne croient pas aux fées devraient y réfléchir à deux fois avant d'inviter Lénine ou Staline à se pencher sur le berceau de leurs marmots.

Bien sûr, François Ruffin ne lui a pas plu… enfin si quand même, car il fallait en passer par là (ce qu'il y a de bien, c'est qu'elle l'avoue : si elle voulait que sa vie décolle, il fallait qu'elle aille coller des affiches pour lui et être aussi à la colle avec lui). À priori, elle s'accommode de tout… plutôt d'un Ruffin que d'un autre, on se demande bien pourquoi… l'adhésion a ses raisons que la raison ne connaît point (je parle des affiches…). 

On apprend que c'est un découvreur de talent… en fait, dans le bordel généralisé qu’est l'inorganisation institutionnelle de la gauche déstructurée, il a vite repéré cette maniaque du rétroplanning et du compte rendu de réunion… Elle aurait pu faire HEC au lieu de Sciences-Po. Car, que ce soit la consommation ou la révolution, les gestionnaires ont apparemment les mêmes ambitions.

Et s'il n'avait pas bien saisi tout le potentiel qu'il pouvait en tirer, elle lui a fait comprendre de façon imagée ainsi qu'à ses amis, qu'ils avaient de bonnes idées mais qu'ils ne s'en servaient que “pour se branler la nouille”. Elle s'est proposée, de facto, de les décharger de cette fâcheuse habitude pour qu'ils grandissent un peu.

Son livre est titré L'amour et la révolution mais L'amour de la révolution serait plus juste. Elle aime les grands rassemblements pré-insurrectionnels : AG, manifs, grèves. Ce qui lui plaît, c'est sentir la fraternité qui fermente. Puisqu'elle aime le collectif, on pourrait s'attendre à ce qu'elle apprécie ces autres formes de collectif que sont la Foire du Trône, le Carnaval de Dunkerque ou la braderie de Lille, événements éminemment populaires. Le seul problème… c'est justement qu'ils sont populaires et qu'elle a conscience, elle et ses amis, de l'immense fossé qui les sépare du peuple dont le bonheur est pourtant l’unique objet de leur tourment. Les débats à propos du film de Ruffin (Merci Patron !) le révèlent. Ils ont un peu le sentiment d'exploiter le malheur de la famille Klur (de l'instrumentaliser) pour faire parler d'eux et non d'elle. Toutefois, leur mauvaise conscience se dissipe quand ils mesurent, au contact des intéressés (lesquels le sont le plus…), la profondeur du fossé qui les sépare : les pauvres manquent vraiment de style…

On se demande d'ailleurs en quoi ce film est différent des Tuche ou de Bienvenue chez les Ch'tis. On s'y paie aussi la tronche des personnages sauf que là, ce sont de vrais gens et que l'humour vire très vite au ricanement. Ça peut paraître bizarre pour des gens de gauche sauf qu'il s'agit de la variante petite-bourgeoise. Or, celle-ci a le même paternalisme instinctif que la bourgeoisie dominicale, celle qui fait l'aumône et qui pousse la petite dernière, la plus éveillée de la famille à ses yeux, à faire des études.

Johanna Silva a des automatismes de langage… soyons charitable, de pensée… qui lui font associer critique de la religion avec islamophobie. Charlie-Hebdo, pour ceux qui savent lire et qui lisent, s’attaque à toutes les religions et ceux qui s'en réclament pour sévir. On ne se souvient pas que les caricatures ayant eu pour cible le catholicisme ait provoqué une indignation aussi universelle que celles visant l'islam, y compris et surtout parmi les agnostiques ou les non-pratiquants.

Elle se bat pour instaurer la bienveillance (“Il est interdit d'être méchant !” sinon on t'envoie en Ukraine), multiplier les chantiers constructifs (un monde meilleur en macramé plutôt qu'en Lego, féminisme oblige).

Elle a ses vapeurs et ses pleurs comme dans un roman de Madame de La Fayette. C'est un indice très clair de sa sensibilité qui a le don d'énerver son Pygmalion et même Mélenchon… je plaisante. Comme chacun sait, ce dernier est aussi sensible que pouvait l'être Fouquier-Tinville,  autrement dit, que la corde d'une guillotine.

Pour elle la violence est du seul fait de la police. Il n'y en a pas entre dealers, pas dans les familles, pas entre voisins. Il n'y en a évidemment pas hors de nos frontières : pas en Ukraine, pas au Moyen-Orient… pas même entre les petits oiseaux.

Autrefois, les actrices qui avaient commencé par le porno tremblaient qu'on dévoile un jour leurs débuts. Aujourd'hui, les femmes dont les débuts ont commencé par des ébats qui font débat, préfèrent prendre les choses en main en alléguant qu’elles n'avaient pas d'autre choix (à cause de ce patriarcat systémique qu'on découvre plus implacable dans nos contrées qu'au Moyen-Orient… et ce, dans tous les quartiers).

La culpabilité de Johanna Silva n'a rien de sexuel. Ce serait plutôt celle du transfuge de classe. La mécanique sociale a quelque chose de céleste. Il faut une certaine force pour s'arracher à l'attraction du peuple… à ses yeux, “peuple” est l'équivalent d’anonymat. Elle s'évalue en permanence avec une simplicité flirtant avec la fausse modestie, guette les encouragements à s'enhardir pour sortir du lot, combat cette tentation en la qualifiant de libérale mais finit par se décerner des satisfecit en regrettant de ne pas s'être lancée plus tôt dans la grande foire aux egos.

Au fond, si ces gens de gauche s'identifient au peuple, c'est uniquement parce qu’ils ne s'estiment pas reconnus à leur juste valeur (le bac pour tous répand ce spleen ad nauseam). Les histoires des malheurs de la classe ouvrière leur arrachent les mêmes larmes qu'autrefois le roman d'Hector Malot, Sans famille. Ils se sentent, en cachette de leurs parents, orphelins de la renommée et du succès. Entre deux larmes, lorsqu'une accalmie se dessine, ils espèrent qu’un jour on reconnaîtra leur valeur… et que cette valeur ne sera pas qu'honorifique.

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