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Y'en a vraiment qui débloguent...

Journal de bord d'un navigateur du web. Commentaires sur l'actualité, la société, la politique, les femmes, le sexe, l'âge, la vie...

Le malade inimaginable

Arditi se prendrait-il pour Molière ? C'est le deuxième malaise qu'il nous fait sur scène. Outre la référence au comédien et auteur, maître ès théâtre et gloire nationale, figure tutélaire de la corporation et trophée aussi disputé que la légion d'honneur, j'y vois un recours abusif au comique de répétition. Or, même chez un acteur aussi endurant que Pierre Arditi, ce manque d'imagination peut gravement nuire à la santé. Arditi est une bête de scène, je propose donc de rebaptiser la pièce dans laquelle il a disparu deux fois, Pierre et le Loup. Mais l'animal y tiendrait un autre rôle que chez Prokofiev et Pierre s'amuserait à “crier au loup” comme un gamin inconséquent. Vous avez bien sûr compris qu'il y a du symbole dans l'air, mine de rien, et que ça augmenterait la perplexité du public, ce qui est toujours bon pour la caisse.

Lors de sa première sortie anticipée le 27 septembre, certains spectateurs avaient cru que cette interruption momentanée n’était qu’un simple rebondissement. Lapin, c'est le nom de la pièce, mêle le vrai et le faux, et se penche sur les états d'âme de deux acteurs, un soir de relâche. Mais la deuxième fois, ils ont peut-être pensé qu'il y avait un loup… Car je n'ose imaginer que ce malaise était feint. Arditi évoque un “malaise vagal…” Il n’y a aucune raison d’y voir un “vague à l’âme” comme le ferait le premier lacaniste venu ou un nostalgique de Boby Lapointe.

Cependant, et même si je risque de paraître insensible comme Gérard Araud quand il explique dans Le Point qu'il va bien falloir se faire une raison dans le conflit qui oppose la Russie à l'Ukraine, autrement dit cesser de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué et même se résigner à vendre celle de l'Ukraine qui pèse bien moins lourd dans la balance géopolitique que les acteurs de poids, cet incident théâtral et son interprétation renvoient, me semble-t-il, au fameux paradoxe du comédien sur lequel Diderot a eu l'extrême obligeance de nous faire une dissertation de première ordre alors que rien ne l'y obligeait sauf, peut-être, la haute estime en laquelle il tenait ses lecteurs… voilà au moins quelque chose qui nous rapproche.

Diderot s'inscrit en faux contre l’opinion de son temps qui voulait qu’un bon acteur ne puisse toucher le public que s’il ressent in situ les passions qu’il exprime. Il me semble qu'aujourd'hui le credo majoritaire est identique, qu'on ne reconnaît le talent que chez ceux qui s'arrachent les tripes, qui s'engraissent comme des oies pour faire le gros ou se vident les boyaux pour faire le maigre. Je ne parle même pas de la télé-réalité qui fait désormais office de salon littéraire pour les handicapés du cerveau. Autrement dit, le spectacle de la vie doit copier la vie et, dans cette optique, le mieux pour un agent artistique serait d'avoir dans son écurie un échantillon représentatif de l'humanité contemporaine comme à l'IFOP. Ce qui est une façon, bien dans l'air du temps, de recruter les feignants.

Pour Diderot, l'acteur doit rester sur la réserve, garder ses distances avec l'entité qu'il interprète. Il lui faut se faire une idée du personnage, l’étudier, lire à son sujet, se l'imaginer, s'en forger un “modèle idéal”. Le personnage n'est en effet qu'une construction, une idéalisation, un caractère qui peut tourner d'ailleurs à la caricature sans problème car qui peut prétendre connaître un autre que soi et, a fortiori, lui-même. Il ne faut, on le voit, surtout pas s'identifier avec lui. Plus il joue, plus l'acteur insensible perfectionnera ce modèle, alors que l'acteur qui joue avec sa sensibilité l'aura dépensé à la première représentation, puis s'épuisera inexorablement pour finir éreinté. Voilà ce qui semble être arrivé à Pierre Arditi. Après avoir passé sa vie à souffrir pour de faux, il a voulu par deux fois, souffrir pour de vrai.

On voit que le questionnement de Diderot s'applique aux mystères de notre époque, notamment ce déluge de menaces qui s'abat sur ceux qui tentent de s'extirper d'eux-mêmes, par exemple un Blanc qui se plongerait dans la psyché d'un Noir. Sans doute y voit-on de la condescendance puisque le Blanc se croirait encore supérieur alors qu'il y a belle lurette qu'il ne s'aventure plus dans un quartier sensible (rien à voir avec Diderot…) même accompagné d'un contingent de Casques bleus. L'inverse par contre n'est pas interdit… à condition que le Noir n'aille pas jusqu'à se prendre pour un Blanc, ça va de soi. Mais quel Noir bien né voudrait de nos jours se pencher sur la psyché d'un Blanc ? Autant proposer à un aveugle de sortir de l'obscurité…

C'est ce qui éclaire aussi cet autre mystère : comment Gérard Depardieu, cet autre monument, peut-il être à ce point adulé en tant qu'acteur et haï en tant qu'individu ? Le film qui l'a fait connaître, Les Valseuses, est sans doute celui qui coïncidait le mieux avec l'homme qu'il est, plus proche du voyou que du gentleman. Sa vie ressemble à un vieux film des années populaires, bien macho et bien gras, qui, d'ailleurs, ne semble pas déplaire aux femmes sophistiquées (Carole Bouquet, par exemple), attirance qui n'est pas sans rappeler la passade entre Gabin et Marlene Dietrich.

Dans Complément d'enquête, l'émission de France 2, on apprend que l'acteur aurait dit à une régisseuse de 23 ans en 2018, sur le tournage de Diamant : “Toi, tu les aimes petites et qui grossissent en bouche.” Des extraits du film de Yann Moix, tourné lors de leur escapade en Corée du Nord, sont également diffusés où l'acteur de 74 ans multiplie les propos outranciers et misogynes. “Les femmes adorent faire du cheval, elles ont le clito qui frotte sur le pommeau de la selle. C'est des grosses salopes”, lance-t-il lors d'une visite dans un haras. “Si le cheval galope, elle jouit”, ajoute-t-il, lorsqu'une fillette de 10 ans passe devant eux à cheval. Et en parlant de leur interprète : “Vas-y, prends la photo pendant que je lui touche le cul. Sa petite moule qui doit être bien, bien touffue, bien poilue. Elle sent déjà la jument”. De son côté, Sophie Marceau s'est récemment souvenue de son expérience sur le tournage du film Police, réalisé par Maurice Pialat en 1985, où elle partageait l'affiche avec l'encombrant personnage. L'acteur souhaitait le bonjour aux femmes de l'équipe accompagné d'un “pouet pouet” sur leurs seins ou leurs fesses.

SALOPES !!!... excusez-moi, ça m'a échappé. Je suis atteint depuis peu de la maladie de Gilles de La Tourette. Toute ressemblance avec une insulte serait donc purement fortuite et ne saurait être retenue contre son auteur.

Qu'on n'y voit pas non plus une tentative de défendre Depardieu. Il est bien assez grand et gras pour le faire tout seul. La seule question que je me pose, vu l'ampleur des dégâts, c'est : conçoit-il sa vie comme un jeu ? L'étalage de sa grossièreté est-elle délibérée comme s'il voulait rafler la mise sur le marché de la mauvaise réputation ? Il a sans doute estimé que son amitié avec Poutine ne suffisait pas…

 

Écrit en décembre de l'an 2023 

depuis le fin fond d'un EHPAD 

complètement à l'Ouest

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