GRETA M'A TUER

Si vous lisez ces lignes, c'est que je suis mort et que mon âme googelisée a pris le relais. Je m'appelle… je m'appelais Charal, j'étais reconnu dans le milieu de la boucherie au point qu'on disait que la viande avait désormais un nom, le mien.

Je portais des bottes mexicaines et un stetson comme Jean-Pierre Melville à sa grande époque. Des cornes de buffle, cadeau d'un confrère texan, se dressaient à l'avant de ma Lincoln Continental tels des talismans. 

Je m'appelais Charal, j'avais confiance dans l’avenir et j'aimais mon métier.

Il m'arrivait parfois de lire et je suis tombé, un jour, comble de malchance, sur un article parlant de la végétalisation de l'alimentation, qui m'a particulièrement scandalisé. Je ne suis pas contre une salade pour accompagner les frites mais il ne faut pas en abuser, tel est mon credo. L'article parlait d'un sondage effectué auprès de 21 011 citoyens sélectionnés dans trente pays. On leur avait demandé de désigner, parmi neuf "écogestes”, les trois qui leur semblaient les plus efficaces. L'option la moins choisie par les Français (7 % de choix) était la végétalisation de l'alimentation. Ce qui décevait le journaliste, car une alimentation sans produits d'origine animale économise, selon lui, quatre fois plus de gaz à effet de serre que le recyclage (sélectionné par 70 % des Français, en 1ère position). De même pour l'utilisation d'ampoules à basse consommation (37 % en 3ème position), un choix qui aurait huit fois moins d'impact que la végétalisation. Vous voyez que cet article m'a marqué pour que je sois encore, de là où je vous parle, capable de citer ces chiffres.

Prenant le taureau par une corne et mon smartphone de l'autre, je me suis fendu d'un droit de réponse, avec l'aide du Dr Chevallier, médecin nutritionniste au CHRU de Montpellier, afin de rétablir l'honneur de la filière bovine (et de la viande en général) et sa légitimité. J'y posais la question primordiale : “Vous êtes vous demandé pourquoi l'homme est devenu omnivore alors que son ancêtre hominidé était végétarien ? Le lobby de la viande n'existait pas encore et ce fut son choix ou peut-être celui de l'Évolution, cette déesse du possible. L'ADN ne ment pas, il échappe à l'idéologie, j'oserais même dire qu'il est libéral puisque certains chercheurs ont parlé d'un gène égoïste (une sorte de "main invisible" au sein de la cellule)”. 

Attention ! je n'ai pas dis que les végétariens étaient bêtes mais ils devraient éviter de fumer des pétards. Même avec leur excédent supposé de neurones, ils ne sont pas à l'abri d'une pénurie de matière grise à court terme.

Bien sûr Greta s'en est mêlée, Greta se mêle de tout quand sa santé le lui permet et qu'elle met à profit les longues heures de train qu'elle s'inflige de Vladivostok à Tombouctou (j'ai pris ces deux villes au hasard pour montrer qu'elle tient la distance et qu'elle a du temps à perdre). Ah oui, Greta s'appelle Thunberg mais vous l’aviez deviné, sans doute. Greta a donc lancé, à l'occasion d'une de ses Journée internationale de la biodiversité, un appel au changement des habitudes de production et de consommation alimentaires. "Si nous adoptions un régime alimentaire à base de plantes, nous pourrions économiser jusqu'à huit milliards de tonnes de CO2 chaque année".

Son discours s'adressait à la terre entière, comme d'habitude, mais j'ai bien senti que c'est moi qu'elle visait. Je lui ai donc envoyé une salve de tweets pour calmer ses ardeurs végétariennes. En retour, elle m'a convoqué devant le tribunal immatériel de l'opinion. Mais j'ai fait le sourd, ce qui n'est pas très difficile quand on ne se parle pas mais qu'on se contente de pianoter sur un clavier. Nos échanges de tirs ont continué par-dessus les frontières dans l'éther glacé des certitudes égoïstes.

À un moment, j'ai craqué : “Greta, il faut qu'on se parle. La distance propage l'ignorance et l'ignorance fait le lit de la mauvaise foi”. Il y a des fois où je m'étonne moi-même ! J'aurais pu être un président des États-Unis tout à fait honorable et imposer Charal chez McDo… ou de Russie et envahir la Chine, juste pour le fun. J'aurais alors chevauché un Kinjal comme dans le film de Kubrick, Dr Folamour.

Afin de lui épargner le déplacement j'ai pris l'avion et pour la provoquer un peu aussi, sans doute. Pour tout vous dire, mon bilan carbone, je m'en tamponne comme de ma première côtelette !

J'avais aussi amené un casque à cornes comme cadeau. Bien qu'il risquât de lui rappeler les bovidés, elle ne pourrait pas le refuser sans déshonorer ses ancêtres (je sais depuis, puisque je suis partie prenante de Google, que le casque des vikings n'avait pas de cornes afin qu'il puisse dormir sur le côté…).

Greta m'avait tendu un piège. 

Elle connaissait, grâce à Facebook et Instagram, mes goûts en matière de femmes. J'étais venu discuter avec une fillette, une sorte de Fifi Brindacier dépressive. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une baba recyclée en vamp. Elle m'accueillit, en effet, allongée sur une méridienne Ikea, une perruque en sisal encadrant son visage poupin, à peine vêtue d'un déshabillé en jute qui découvrait largement ses jambes grêles dont le galbe furtif gonflait modestement des bas tissés à partir d'algues de la Baltique. On aurait dit une Cléopâtre reconvertie en Petite Sirène.

Elle n'arrêtait pas de parler de sa zone humide. Au début, j'ai cru que je l'excitais comme un bœuf (sans me vanter, j'ai l'habitude de ce genre de réaction… comme aurait dit César : veni, vidi, cunni)… En fait, elle voulait me faire faire le tour du propriétaire, pas celui que j'escomptais mais bon, chaque chose en son temps…

Mais moi qui aime la viande, je restais sérieusement sur ma faim. Et puis je sentais bien qu'elle entrait mal dans son nouveau rôle. On ne passe pas d'égérie écolo à Coco Charnelle en un battement de faux-cils, même issus de l'agriculture biologique.

Sa mère avait dû la conseiller sur ce coup-là. C'était une ancienne chanteuse lyrique qui avait renoncé à sa carrière parce qu'elle s'était engagée, comme sa fille, à ne plus prendre l'avion. Après avoir beaucoup étalé ses avantages, elle était devenue une figure du mouvement LGBT, comme on rentre dans les ordres après avoir péché (en 2016 elle avait été couronnée "hétéro de l’année"). Je pense qu'elle cherchait surtout à se reconvertir (elle a fait l'Eurovision). L'art lyrique ne rapporte rien. Pourquoi croyez-vous que tant d'artistes s'abîment dans la variété ? Même Roberto Alagna, ce Corse sublime, s'y est résigné… Pardon ? Il n'est pas corse… je sais, mais je mets du Corse partout, même sur ma plaque d'immatriculation… En plus des cornes, ça renforce mon pouvoir de dissuasion.

En partant pour la Suède, je pensais replonger dans l'univers tourmenté d’Ingrid Bergman, Liv Ullmann ou Cris et chuchotements - et oui, j'ai pris des cours de culture générale comme Sarkozy, Hanouna ou Amélie Oudéa-Castéra. Mais voilà que je me retrouvais dans une serre tropicale avec un lac au milieu, en pleine campagne suédoise, chauffée par géothermie, en tête-à-tête avec une Greta aussi éruptive qu’un volcan islandais. C'était plutôt du Chandler (Raymond) que du Bergman (Ingmar)… Que croyez-vous qu'il arriva ? Nous avons quand même fini par faire l'amour comme des bêtes, parce que j'y ai mis beaucoup du mien et que je n'ai pas failli à ma réputation de viandard. Elle criait en suédois et ses râles gutturaux consacraient ma victoire. Mon dos en garde encore les marques… en forme de G… elle doit avoir un piercing ou quelque chose comme ça, qui lui sert à marquer ses conquêtes comme des bestiaux.

Soudain ma vue se brouilla…

Je ne pouvais plus bouger. Mon cerveau fonctionnait encore… Qu'avait-elle mis dans mon thé vert ? Je sentis qu'elle déplaçait mon siège… j'étais émerveillé par la force qui se dégageait de ce petit corps malingre sevré de protéines animales. Je me retrouvai bientôt dans un endroit sombre… et ce fut l'effroi ! On aurait dit un remake des Dents de la mer ! Deux mâchoires vertes bordées de pointes acérées comme les dents d'un squale claquaient frénétiquement (malgré ma frayeur je réussis à mobiliser un reste de mémoire et me rappelait cette plante carnivore que Blake et Mortimer durent affronter dans Le secret de l'Atlantide !) Elle avait en effet réussi à faire croître de façon monstrueuse une dionée, la fameuse plante attrape-mouches... Je parierais qu'elle lui avait donné du Viandox plutôt que des compléments à base de soja… Imaginez la duplicité de ces gens : ils se font les chantres du steak végétarien mais ils cultivent des plantes carnivores au milieu de leur cannabis CBD. Tout ça pour éradiquer la race humaine. N'est-ce pas là le comble du cynisme : une plante carnivore pour dévorer la race humaine ?!

Car je vous certifie que cette plante avait un sourire carnassier auprès duquel celui d'un vélociraptor aurait eu l'air d’une risette. Et cette grimace assassine, je la devais sans doute à ma réputation. La dionée m'avait reconnu ! Même dans mon malheur, je parvins à positiver : la renommée de Charal avait franchi la barrière des espèces !

Sentant venir ma fin, je réussis à tracer sur le sol avec mon sang mêlé de sève végétale : “Greta m'a tuer”... vous constaterez que l'humour ne m'a pas quitté jusqu'à la dernière extrémité… à savoir mon index.

J'entends déjà les sceptiques : comment peut-il décrire sa mort alors qu'il est mort ? Parce que j'ai anticipé ! Nous les mangeurs de viande avons l'esprit plus vif et sommes capables de nous projeter dans l'avenir à la vitesse d'un bœuf hormoné. Ma mort, je l'avais donc prévu bien que je ne sois pas suicidaire, et même ses circonstances… et aussi le transfert de mon âme dans le cyberespace… au plus offrant… Google ayant mis le paquet, je me retrouve aujourd'hui sur votre moteur de recherche… même si je regrette aujourd'hui la dérive woke de l'équipe dirigeante ! En tout cas, ils n'ont pas censuré ce post… Et puis même si ça ne s'est pas passé comme ça, c'est bien trouvé comme dirait Donald.