Poutine is coming

Tout était clair, pourtant ! Vladimir Vladimirovitch avait averti les huiles du FSB : “Les déclarations provocantes récentes d’un certain nombre de responsables occidentaux sur de possibles attaques terroristes en Russie ne sont que purs chantages”. Et ceux-ci avaient bien compris qu'il n'y avait rien à comprendre.

Quand ils ont vu les images de l'attentat, filmé par les jeunes qui le vivaient soi-disant en direct, ils ont tout de suite compris qu'il s'agissait d’une immense campagne de désinformation perpétrée par le grand satan américain. Ils étaient quand même un peu émerveillés : ça paraissait tellement vrai ! “Oui mais… ils ont les moyens, eux, les Amérkofs”, se sont-ils dits même s'ils se savaient surveillés de l'intérieur. Alors, ils n'ont rien fait et de toute façon, aucun ordre n'était venu de la Maison rouge…

Tout était faux depuis si longtemps… Certains s'étaient crus en guerre en écoutant Soloviev à la télévision. Mais en fait, c'était une opération militaire spéciale. Il y avait les opérations militaires courantes où les enjeux étaient faibles… 100 000 roubles tout au plus… et les opérations militaires spéciales où le premier prix pouvait atteindre 100 millions de roubles !

C'est Choïgou qui était aux manettes et lançait le jeu en direct, déguisé en ministre de la Guerre (c'était un chaman… il pouvait se déguiser en oiseau… ou en missile Iskander, si ça lui chantait). Il inventait un pays… en ce moment c'était l'Ukraine, une sorte de IVème Reich slave un peu tadjik sur les bords dirigé par un Juif… c'était vraiment très spécial.

Il y avait de très belles images de combat. On voyait une cible qui s'offrait complaisamment à l'objectif et puis qui grandissait à toute vitesse et, d'un seul coup, tout devenait blanc comme neige. Ou alors des points qui avançaient dans un no man's land. À un moment, ils essayaient de se cacher et puis soudain, un nuage de fumée s'élevait qui empêchait de bien voir s'ils avaient été neutralisés en tout ou en partie… Heureusement, il y avait un compteur à l'image qui augmentait d'une unité… ou de plusieurs. Aucune contestation possible… ça faisait au moins un point de plus pour le joueur… On ne savait pas trop lequel mais peu importe, ce qui comptait, c'était de participer à la folie ambiante. 

La partie était très équilibrée. Nos chefs prenaient bien soin de montrer des bateaux russes touchés par des missiles et qui sombraient, mais comme c'était fictif on savait bien qu'on les reverrait un jour ou l'autre sur la place rouge lors du défilé du 9 mai, par exemple. Il y avait même des blogueurs militaires qui intervenaient pour critiquer notre armée. Ils ressemblaient à des Russes, parlaient russe… c'était vraiment bien imité… mais comment croire que des compatriotes se permettent de critiquer nos dirigeants, même après avoir vidé une citerne de vodka ! On en riait entre nous en trinquant aux héros de la Grande Guerre patriotique.

Et puis il y a eu ces images du Crocus City Hall (pourquoi un nom américain... une erreur de traduction, un copyright…)... ce toit éventré… Ils n'avaient pas lésiné sur les moyens au FSB ! Parce que là, difficile de croire que c'étaient les Américains… Tous les Moscovites pouvaient aller faire semblant de se recueillir au pied des décombres… enfin, c'est du moins ce qu'on voyait à la télé. Il y a même eu une minute de silence à Saint-Pétersbourg en hommage aux victimes, à la demande du groupe qui soi-disant devaient jouer le jour de l'attentat… Piknik… drôle de nom pour un groupe, on se croirait en week-end sur les bords de la Tamise... ou alors, peut-être des Américains déguisés en Ukrainiens déguisés en Tadjiks ! Ah oui, il fallait ajouter l'État islamique dans l'équation… j'aurais mieux fait d'être plus assidu aux cours de maths du lycée n°4 à Moscou.

À un moment de la partie, j'ai quand même commencé à me demander si j'étais vraiment russe… Je me suis levé, j'ai regardé par la fenêtre. Au loin, la Tour Eiffel se dressait encore, intacte… J'ai attendu un peu, le jour se levait à peine… L'immense drapeau rouge est bientôt monté vers le ciel, frappé de l'étoile, de la faucille et du marteau. Mes poumons, pris d'une inspiration soudaine, se sont alors outrageusement gonflés, ma gorge se préparait déjà à livrer bataille… et les paroles écarlates ont brutalement jailli de ma bouche comme des obus, pointée vers la mère patrie :

“Союз нерушимый республик свободных

Сплотила навеки Великая Русь.

Да здравствует созданный волей народов

Единый, могучий Советский Союз!

Славься, Отечество наше свободное,

Дружбы народов надёжный оплот!

Знамя советское, знамя народное

Пусть от победы к победе ведёт !”